Les trottinettes électriques ont proliféré ces dernières années dans un grand nombre d’agglomération. Certaines sont mises à la disposition des usagers en libre-service via des applications, et d’autres appartiennent personnellement à leur conducteur.
Avec le développement de ce nouveau moyen de transport, de graves problèmes de sécurité ont émergé, notamment du fait de l’absence de réglementation claire, et de comportements dangereux de la part des conducteurs.
Cela a donc engendré des accidents, parfois graves, impliquant des trottinettes et des voitures, des trottinettes et des piétons, des trottinettes et des vélos, ou encore des trottinettes seules.
Cette problématique étant totalement nouvelle pour le droit français, il a fallu s’interroger sur le régime juridique applicable à ces accidents de la route impliquant des trottinettes électriques.
1. Accident de la circulation : quels sont les enjeux liés au statut juridique accordé à la trottinette électrique ?
Pour comprendre l’importance de ce statut juridique, il est nécessaire d’évoquer en quelques mots la Loi Badinter, qui s’applique à chaque fois qu’un véhicule terrestre à moteur est impliqué dans un accident de circulation.
C’est une loi très favorable aux victimes d’accidents de la route, qui leur permet d’être indemnisées bien plus facilement et plus rapidement, même si l’autre véhicule impliqué dans l’accident n’a commis aucune faute.
En outre, si la victime de l’accident de la route n’était pas conductrice d’un véhicule terrestre à moteur (piéton, cycliste, passager, etc.), alors il est presque impossible de lui reprocher un comportement fautif pour réduire ou exclure son indemnisation.
A l’inverse, si la victime d’un accident de la circulation était conductrice d’un véhicule terrestre à moteur, sa faute peut réduire ou faire obstacle à son indemnisation.
Concrètement, la question est donc celle de savoir si juridiquement la trottinette électrique peut être considérée comme un véhicule terrestre à moteur ou non, car le régime de responsabilité et d’indemnisation des victimes de l’accident dépendra de la réponse apportée.
Si l’on considère que la trottinette électrique n’est pas un véhicule terrestre à moteur :
- Alors le conducteur de la trottinette électrique qui cause un accident voit sa responsabilité engagée sur le fondement de l’article 1240 du Code Civil (responsabilité pour faute) et/ou de l’article 1242 du même Code (responsabilité du fait des choses), mais pas sur la base de la Loi Badinter.
Si ce même conducteur de trottinette électrique subit un accident, en étant par exemple percuté par une voiture, la Loi Badinter s’appliquera dans tous les cas (car la voiture le percutant est incontestablement un véhicule terrestre à moteur). Il serait alors considéré comme une victime non-conductrice de cet accident de la circulation, et on ne pourra donc que très difficilement lui reprocher une quelconque faute.
Si l’on considère que la trottinette électrique est bien un véhicule terrestre à moteur :
- Alors le conducteur de la trottinette électrique qui cause un accident voit sa responsabilité engagée sur le fondement de la Loi Badinter.
Si ce même conducteur de trottinette électrique subit un accident, en étant par exemple percuté par une voiture, la Loi Badinter s’appliquera dans tous les cas (car la voiture le percutant est incontestablement un véhicule terrestre à moteur). Mais il sera considéré comme une victime conductrice de cet accident de la circulation, et on pourra lui reprocher toute éventuelle faute pour réduire ou exclure son indemnisation.
Par conséquent, les piétons ou cyclistes heurtés par une trottinette électrique ont tout intérêt à ce que cet engin relève de la Loi Badinter, bien plus favorable pour les victimes d’accidents de la route.
Quant au conducteur de celle-ci, il a intérêt à ce qu’elle ne soit pas considérée comme un véhicule terrestre à moteur. En effet dans ce cas, s’il cause un accident sa responsabilité sera plus difficile à rechercher, et s’il en subit un face à une voiture, une moto ou encore un camion, il ne sera pas reconnu comme un conducteur et on ne pourra pas lui reprocher une éventuelle faute de conduite.
Enfin, la question du statut juridique de la trottinette électrique présente un autre intérêt non négligeable. En effet, si l’on estime qu’il s’agit d’un véhicule terrestre à moteur, alors va s’appliquer l’article L 211-1 du Code des assurances imposant une obligation d’assurance au propriétaire d’un tel véhicule. En d’autres termes, dans ce cas chaque personne circulant en trottinette électrique doit impérativement être assurée pour les accidents susceptibles d’être causés, comme c’est le cas pour tous les conducteurs de voitures, de scooters, de motos, etc.
A l’inverse si la trottinette électrique n’etait pas un véhicule terrestre à moteur, le conducteur causant un accident serait en principe couvert par son assurance de responsabilité civile.

2. Accident de la route : la trottinette électrique est-elle un véhicule terrestre à moteur ?
La Loi Badinter s’applique à chaque fois qu’un véhicule terrestre à moteur est impliqué dans un accident de circulation, mais ne définit pas ce qu’est un véhicule terrestre à moteur.
Il faut donc se référer à d’autres textes, notamment à l’article L 211-1 du Code des Assurances qui impose une obligation d’assurance pour tous les véhicules terrestres à moteur, qu’il définit comme :
« Tout véhicule automoteur destiné à circuler sur le sol et qui peut être actionné par une force mécanique sans être lié à une voie ferrée, ainsi que toute remorque, même non attelée ».
Une autre définition du véhicule terrestre à moteur se situe à l’article L 110-1 du Code de la route, aux termes duquel :
« Le terme « véhicule à moteur » désigne tout véhicule terrestre pourvu d’un moteur de propulsion, y compris les trolleybus, et circulant sur route par ses moyens propres, à l’exception des véhicules qui se déplacent sur rails »
A la lecture de ces articles, il semble donc que la trottinette électrique puisse être considérée comme un véhicule terrestre à moteur.
En effet il s’agit bien d’un véhicule :
- Destiné à circuler sur le sol
- Pouvant être actionné par une force mécanique
- Pourvu d’un moteur de propulsion
- Circulant par ses moyens propres
La solution aurait été différente si cet engin ne pouvait pas circuler de façon autonome sans l’aide d’une action physique de son conducteur.
Par exemple, les vélos à simple assistance électrique ne sont pas des véhicules terrestres à moteur, car leur mécanisme impose un pédalage pour que le moteur soit actionné. Par conséquent un tel vélo ne dispose pas d’une force de propulsion autonome, et ne peut pas rouler sans l’action physique de son conducteur.
Pour répondre clairement à la question initiale, la trottinette électrique est bien un véhicule terrestre à moteur.
Il en va de même pour les vélos électriques pouvant circuler sans que le cycliste n’ait besoin de pédaler, mais pas pour les vélos à simple assistance électrique.

3. Les conséquences pratiques de ce statut de véhicule terrestre à moteur accordé à la trottinette électrique
Comme évoqué précédemment, étant donné que la trottinette électrique est un véhicule terrestre à moteur, la Loi Badinter s’applique donc lorsqu’un tel engin est impliqué dans un accident de la route.
Les conséquences sur le droit à indemnisation de la victime et le régime de responsabilité du conducteur sont donc les suivantes, suivant les situations.
–> Pour le conducteur d’une trottinette électrique victime d’un accident de la circulation impliquant un autre véhicule terrestre à moteur :
Celui-ci bénéficie d’un droit à indemnisation de ses préjudices, même si l’autre conducteur n’a pas commis de faute. Toutefois cette indemnisation peut être réduite ou totalement exclue si le conducteur de la trottinette électrique a commis une faute.
–> Pour la victime d’un accident impliquant une trottinette électrique :
- Si celle-ci était également conductrice d’un véhicule terrestre à moteur :
Elle bénéficie d’un droit à indemnisation de ses préjudices, même si le conducteur de la trottinette n’a pas commis de faute. Toutefois cette indemnisation peut être réduite ou totalement exclue si la victime a commis une faute.
- Si celle-ci n’était pas conductrice d’un véhicule terrestre à moteur (piéton, cycliste, passager, etc) :
Elle bénéficie d’un droit à indemnisation de ses préjudices, même si le conducteur de la trottinette n’a pas commis de faute. Cette indemnisation est quasiment automatique et ne peut être écartée que dans des cas très rares.
Par ailleurs il est important de rappeler qu’un véhicule terrestre à moteur est dit impliqué dans un accident de la circulation, s’il a joué un rôle quelconque dans sa survenance. Il n’est donc pas nécessaire qu’il soit rentré en contact avec la victime. Ainsi la Loi Badinter s’applique également lorsqu’un piéton n’est pas percuté par une trottinette, mais se blesse en voulant l’éviter.
Enfin, la dernière conséquence notable de la qualification de véhicule terrestre à moteur pour les trottinettes électriques est l’obligation d’assurance qu’elle entraîne.
En effet, et comme cela a été précisé suite au décret n° 2019-1082 du 23 octobre 2019 relatif à la réglementation des engins de déplacement personnel, modifiant l’article R. 311-1 du Code de la Route, il est obligatoire d’être assuré pour circuler en trottinette électrique.
Or, il est souvent nécessaire de souscrire dans ce but une assurance spécifique, à l’instar des assurances automobiles, ou à tout le moins de s’interroger sur les garanties de son assurance de responsabilité civile « classique », qui en général ne couvre pas les dommages causés par des véhicules terrestres à moteur.
Malheureusement il va sans dire qu’une écrasante majorité de conducteurs de trottinettes électriques circulent sans assurance.
Premièrement il s’agit d’une infraction, punie de 3 750 euros d’amende par l’article L. 324-2 du Code de la route.
Deuxièmement, si le conducteur blesse une personne, il devra l’indemniser avec ses propres moyens. Selon la gravité des préjudices, le montant de cette indemnisation peut parfois atteindre plusieurs centaines de milliers d’euros, voire quelques millions d’euros dans les cas les plus graves.
Quant à la victime d’un accident de trottinette électrique, si le conducteur de celle-ci est inconnu ou n’est pas assuré, elle peut solliciter son indemnisation directement auprès d’un fonds de garantie (le FGAO). Celui-ci va alors l’indemniser en intégralité, puis se retournera ultérieurement contre le conducteur, en exerçant contre lui un recours en remboursement des sommes versées.
Cliquez ici pour plus d’informations sur le fonctionnement du FGAO